Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intoxications externes ; la paralysie générale plaît au psychiatre, non la démence précoce. Les Français pensent ici comme des médecins. Ils estiment que leur maladie est causée par des agents aussi précis que des microbes qui font ce qu’ils peuvent pour l’aggraver, pour en faire la maladie que la mort conclut. Ils se sont faits les accusateurs de ces microbes et ils préparent contre eux leurs canons et leurs navires. Contre le microbe anglais. Le microbe allemand. Le microbe italien. Et principalement, premièrement, le microbe russe. Le microbe du Plan Quinquennal. Le microbe de la collectivisation. Le microbe du Komintern.

En Russie se construit un ordre qui donne à penser aux ingénieurs américains et qui empêche de dormir tranquilles les marchands de pétrole et les vendeurs de blé. Cent soixante millions d’hommes recouvrent la puissance de la santé. Alors il s’agit de gagner du temps contre cette santé de la Révolution qui comporte la mort de la bourgeoisie. Elle est dénoncée comme la cause externe de la maladie de l’Occident.

Ainsi est renversée la vérité de l’histoire. Car la civilisation bourgeoise a eu des ennemis extérieurs parce que son univers contenait les raisons réelles de ses maux. Elle n’est point malade parce qu’elle a des ennemis, mais des ennemis se sont dressés contre sa maladie : il y a des hommes dans le monde qui ont connu qu’il n’était pas question de maladies temporaires, mais d’une anarchie sans remèdes, d’un mal qui est l’issue fatale d’une culture et d’une économie, le commencement du déclin. Une civilisation étouffée par les contradictions qu’elle-même engendre, victime de ses propres poisons, a commencé à mourir et s’est suscité comme ennemis tous ceux qui ne consentaient pas à la suivre dans sa fin. C’étaient ceux-là mêmes qui souffraient de sa puissance et qui n’avaient jamais partagé sa bonne