Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/124

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mais il est temps de décrire aussi une révolution du vide. Après avoir connu le vide et la honte qui sont les lois spirituelles de ce temps, et l’abaissement étalé sur toute la terre, ils nient les nuées des légendes philosophiques. Toute poursuite d’une volonté nouvelle débute par une dénégation générale. Il en a toujours été ainsi ; chaque fois qu’un type d’existence sociale, avec tous ses gréments spirituels a penché vers son déclin, des hommes attirés par les forces de l’avenir ont entrepris cette dénonciation. Les héros mêmes de la pensée bourgeoise montrent ce chemin. Ces hommes iconoclastes ont su ce qu’ils pouvaient attendre des défenseurs des temps condamnés contre le maintien desquels ils s’élevaient. Ils ne servaient point les États, ils ne respectaient pas les biens, ils étaient contre le plus grand nombre de leurs contemporains. À la veille de la révolution bourgeoise, Diderot disait d’eux :

« Je sais bien que c’est une race d’hommes odieuse aux grands devant lesquels ils ne fléchissent pas le genou, aux magistrats protecteurs par état des préjugés qu’ils poursuivent ; aux prêtres qui les voient rarement au pied de leurs autels ; aux poètes, gens sans principes et qui regardent sottement la philosophie comme la cognée des beaux-arts, sans compter que ceux mêmes d’entre eux qui se sont exercés dans le genre odieux de la satire n’ont été que des flatteurs ; aux peuples de tout temps les esclaves des tyrans qui les oppriment, de fripons qui les trompent et des bouffons qui les amusent. »[1]

Les philosophes présents n’ont aucune raison de faire ce travail, aucune raison d’être pris en haine par les magistrats et les grands, ils n’ont aucun motif de renoncer à leur abstention

  1. Jacques le Fataliste.