Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/128

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On pense à l’affaire Dreyfus, on se dit qu’il en est bien ainsi. Mais on reprend ensuite dans sa mémoire le jugement et la mort de Sacco et Vanzetti, on pense aux conditions juridiques dans lesquelles se déroulent en Indochine les procès des révolutionnaires : on est bien contraint de conclure que les limites de la pratique cléricale coïncident avec celles des intérêts de la bourgeoisie. Défendre Dreyfus c’était affirmer la bourgeoisie, défendre Sacco, défendre Tao, au nom de la Justice, c’est travailler contre soi, c’est vouloir se détruire. Si la violation de la Justice atteint un prolétaire, la philosophie ne la sent point. L’homme prolétarien est situé en dehors de la philosophie. Il n’a point de titres réels à l’intérêt de la Philosophie bourgeoise. Il le sait enfin et se dirige vers la Philosophie qui le sert.

La situation qui se propose aux professionnels de la pensée, à ces gens munis des techniques de l’intelligence, est une situation brutale. (Et il faut se tourner ici vers les jeunes hommes qui font un apprentissage de clercs, et non vers ces vieux clercs encore debout par habitude dans leur vieillissement, dans leur mémoire, leur sclérose et leur contentement. Le faux débat entre nos anciens maîtres et nous vient sans doute de ceci que nous n’espérons point les convaincre, mais qu’ils croient reconnaître en nous cet espoir. Il n’importe point de les toucher mais de les vaincre.) Cette situation presse, elle ne peut plus être réservée pour plus ample examen. Elle ne propose que ce choix :

Il est possible de rester attaché à l’attitude cléricale, de mettre au-dessus des exigences sordides et des partialités humaines de la vie, les obligations distinguées et la dignité éminente de l’esprit, de ne point prendre publiquement