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perceptions fausses prodiguées aux hommes pour voiler leur servitude conduit à dégager la volonté de renverser les conditions où ces illusions se formèrent.

Dans un monde brutalement divisé en maîtres et en serviteurs, il faut enfin avouer publiquement une alliance longtemps cachée avec les maîtres, ou proclamer le ralliement au parti des serviteurs. Aucune place n’est laissée à l’impartialité des clercs. Il ne reste plus rien que des combats de partisans.

Tout le choix qui se propose est entre deux complicités : complice de la bourgeoisie, complice du prolétariat, le philosophe prendra ouvertement parti. Le temps de la ruse est passé. La seconde complicité comporte la seule fidélité qui compte encore. Qu’elle ne soit point sournoise. Qu’elle ne se masque pas sous les voiles de l’Éternité, de la Raison, de la Justice. Elle sera proclamée. Elle se montrera au grand jour, sans la pudeur antique de la nuit. Plus personne à tromper. Plus personne à séduire. Des coups à recevoir et des coups à porter. Les philosophes d’aujourd’hui rougissent encore d’avouer qu’ils ont trahi les hommes pour la bourgeoisie. Si nous trahissons la bourgeoisie pour les hommes, ne rougissons pas d’avouer que nous sommes des traîtres.