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civilisation (française) à faire des hommes pour la France, et aussi pour l’humanité, telle que la France se la représente dans ses rapports avec elle… »

P. Fauconnet, à Éducation et Sociologie, de Durkheim.


On pourrait beaucoup multiplier ces définitions du conformisme moral imposé par l’État et mis en forme par la philosophie. Elle lui donna les formules brèves qu’il fallait, elle lui donna aussi des justifications, elle le garantit par je ne sais quelle dialectique des fins qu’il impliquait. Ce problème des justifications était le plus délicat et plus d’un philosophe, plus d’un politique sut naïvement l’avouer. Quel embarras d’être soudain privé des punitions divines. Il fallait bien que le conformisme fût justifié pour être accepté de ceux à qui il était destiné. Il y eut maint tâtonnement : on utilisa Kant, Renouvier, le spiritualisme, le positivisme, la science, ces ressorts garantissaient mal le respect. La loi morale, le devoir, les idées risquaient d’échapper à l’attention et à l’affection populaires. Aux environs de 1890, ces difficultés apparaissaient clairement : « L’instinct soupçonneux et défiant de la classe peu éclairée ne la trompe pas ici en lui faisant entrevoir que les idées de justice et de raison, pour avoir une valeur pratique, doivent correspondre aux lois mêmes de la réalité… (la loi est sortie) des nécessités profondes qui découlent de la nature, des choses… nécessités que les peuples pénètrent d’autant mieux qu’ils sont plus raisonnables et plus libres. Voilà un fondement solide donné à la loi et une telle théorie ne trouvera point de sceptique… » (Mabilleau, L’instruction civique, pp. 13-14.)

M. Mabilleau propose le programme qui sera rempli par Durkheim. Aux environs des années 1893-94, la situation bourgeoise ne paraissait pas sûre : la France était inquiète et on en voit plus d’un signe dans Durkheim. Les bombes inquiétaient les passants, les ministres. Les discours de M. Bourgeois étaient alors des cris d’alarme. Ils appelaient un affermissement de la morale bourgeoise, ils disaient :

« À cette heure où nous entendons des criminels et des fous furieux prêcher la révolte contre la société et opposer l’abominable propagande de la haine à la propagande de la paix et de la fraternité, il ne faut pas seulement frapper les crimes commis avec une impitoyable rigueur, il faut savoir en prévenir le retour. Pour cela deux œuvres sont également nécessaires, l’œuvre législative qui incombe à l’État et l’œuvre éducatrice qui incombe à tous les bons citoyens. L’Etat doit sans relâche… entreprendre et réaliser les réformes… que la prudence au besoin suffirait à conseiller, mais