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ment ouvrier du chemin déterminé par l’interaction des forces matérielles et des moyens de production matériels équivaut à une renonciation au socialisme. Celle-ci (une conscience socialiste) ne peut leur être inculquée que du dehors… La science du socialisme est née de théories philosophiques, historiques, économiques, qui étaient formulées par les représentants des classes possédantes. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les ouvriers n’aient pas participé à l’élaboration de ces théories. Mais ils y ont participé non comme ouvriers, mais comme théoriciens socialistes… Ils n’y ont participé qu’après avoir réussi et dans la mesure où ils ont réussi à s’assimiler plus ou moins la science de leur époque et à la faire avancer… Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire possible… En quoi consiste le rôle de la social-démocratie, si ce n’est d’être un « esprit » qui ne plane pas seulement au-dessus du mouvement spontané, mais cherche à élever ce mouvement à la hauteur de son programme ? Son rôle n’est pas certainement de se traîner à la remorque du mouvement… » (Que faire ?) Cette tâche, proposée à la philosophie de la révolution, exige des idéologues qui apportent à la lutte prolétarienne les armes intellectuelles que la bourgeoisie leur confia pour qu’ils la servissent ; elle exige d’eux une identification totale sur tous les plans avec les actions que le prolétariat poursuit, avec les révoltes nées de sa situation de classe. Elle exige d’eux une honnêteté révolutionnaire toujours mise en péril par les souillures qui demeurent attachées à leur peau longtemps après leur passage au parti du prolétariat. Sur tous les points de leur activité et de leur pensée, ils doivent inverser les coutumes où ils furent élevés, tuer en eux l’orgueil et la suffisance qui sont les marques du clerc bourgeois. Ils doivent apporter toutes les ressources techniques de l’intellectuel et perdre tous les travers de l’intellectuel. Ce n’est pas assez de se rallier au prolétariat dans un élan sentimental qu’un autre mouvement du sentiment peut un jour détruire. Ce n’est pas assez d’éprouver la « révolution de la honte », de ne plus vouloir être complices : ces démarches ne sont que leurs premiers pas. Il leur reste à faire leurs preuves. Ils ne se regarderont plus que comme des spécialistes au service du prolétariat, longtemps, nécessairement suspects. Ils doivent éviter des entreprises intellectuelles excessivement ambitieuses, ne pas croire que le ralliement au prolétariat leur ouvre la voie vers un grand romantisme philosophique. Le travail qui sera leur travail est toujours difficile, parfois ennuyeux. Engels disait : « Chaque mot qu’on perd sur les hommes, chaque ligne qu’on