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permettent-elles de croire que leur situation de philosophes est privilégiée par rapport à l’ensemble des situations justiciables de la critique humaine, de la même façon que la situation de Descartes est privilégiée à leurs propres yeux. Ils espèrent qu’ils seront traités comme ils traitent eux-mêmes Descartes. Mais nous ne ferons point d’exception en faveur des Philosophes.

Ces postulats que les historiens défendent ont, en effet, des conséquences importantes pour ce que M. Lalande appelle, avec une naïve croyance en sa propre hardiesse, la méthode polémique en philosophie : ils supposent qu’on ne peut opposer au philosophe que des objections intérieures à sa philosophie, objections techniques soumises à certaines formes de politesse qui constituent en dernière analyse la matière même de cette Philosophie du ciel. D’où il suit que personne n’est reçu à venir du dehors lui demander explications et comptes rendus de mandat. Mais nous n’acceptons plus que les professionnels de la Philosophie soient responsables, c’est-à-dire doivent répondre, devant leurs seuls collègues présents et à venir. Nous réclamons une véritable démocratie philosophique et non une de ces démocraties où les ministres ne sont responsables que devant un parlement de politiques. Comme si Kant ne devait des comptes qu’à Boutroux, professeur. Et non à Lénine, théoricien et praticien de la Révolution prolétarienne. Le scandale philosophique de la condamnation de Socrate repose bien moins sur l’indignation soulevée par la mort du Juste que sur une colère professionnelle devant l’entrée en scène de juges qui n’étaient point des spécialistes de la logique du concept et de l’analyse réflexive, mais des gens qui vivaient, et concluaient sur la philosophie socratique, bien ou mal, en se fondant sur l’effet réel des idées qu’elle répandait.

Une semblable demande de comptes va avoir