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lieu. Des hommes sortis des hommes opposeront aux penseurs d’ici et d’aujourd’hui des objections non techniques qui se soucieront comme d’une pomme de la politesse des philosophes, il ne sera fait d’exception en faveur de personne, au nom du mythe des vocations, au nom du mythe de l’Esprit.

Les philosophes n’ont jamais été des esprits purs et des naturels des cieux. Mais des corps et des têtes terrestres, sur une terre où leur naissance et leur croissance ne comportèrent pas de vocations irremplaçables, de caractères intelligibles, de progrès de l’Esprit pur, qui n’existe pas. Ils furent les penseurs qu’ils furent, non parce qu’il y avait encore une réponse à faire à une vieille question, mais précisément parce qu’ils faisaient des expériences réelles, avaient quelque chose à dire et seulement alors se préoccupaient de ce que leurs prédécesseurs avaient dit : comme n’importe qui, ils avaient besoin d’un langage. Seulement alors, ils taillaient des vêtements pour leurs corps en imitant, comme malgré eux, le vêtement et le masque de leurs prédécesseurs. Ils étaient nés une année et ils mouraient une autre année : entre ces deux dates est située leur humanité, leur explication et les causes qui les faisaient reprendre à leur façon les vieux problèmes.

Quel serait donc le privilège de la Philosophie ?

Le grand postulat qui le garantit est celui de la permanence des conditions de la pensée. Le monde de la spéculation est supposé par lui insensible au changement. Les philosophes le croient. Que ce monde tranquille leur est aisé à parcourir ! On n’y saurait faire les mauvaises rencontres toujours possibles dans un monde qui change. Il existe un milieu homogène, silencieux, incolore, abstrait comme l’espace, où est possible depuis le commencement des temps le calme