Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point des péchés contre cette Idée. Des tentations du Malin. On peut dire devant elles comme Hegel devant les montagnes : « C’est ainsi. » Seulement il y a des genres de montagnes que je n’aime pas, tout en sachant bien qu’elles ne pêchent pas contre une Morale des Montagnes. Les colères que nous avons, les haines qui nous tiennent n’ont pas besoin de justifications éternelles.

Il faut prendre les philosophies comme des événements : on n’a point accoutumé de demander des comptes théologiques aux événements. Il est vain de louer comme un saint, de réprouver comme un pécheur, un philosophe, selon qu’il embrasse le parti des hommes, ou qu’il le déserte. En gardant derrière la tête l’antique idée de Péché, de la Première Faute qui aurait pu n’être point commise : chacun sait bien que l’Esprit est libre. Je regarde M. Bergson comme un danger, mais non comme un pécheur, je vois en lui une existence dont je dois saisir la portée. Si je dis qu’il est avec la bourgeoisie contre les hommes, cela ne veut pas dire que je le regarde comme un ennemi, comme un parasite. Le bacille de Koch ne m’apparaît pas non plus comme un damné. Si nous cherchons à expliquer la production bourgeoise d’une philosophie inhumaine, nous commencerons à y voir un peu clair lorsque nous serons capables de prendre ses penseurs comme des objets, sans être tourmentés par la pensée de leur libre arbitre. Si je pense à la conscience morale de M. Brunschvicg, je pense comme lui, je suis vaincu par lui, je pense bourgeoisement au moment où je veux penser humainement. Impossible désormais de s’intéresser au caractère intemporel de M. Bergson, au choix d’un caractère intelligible qu’a pu faire M. Fauconnet. Oublions à grands pas Kant et nos catéchismes.