Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/84

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réserve à ses propres enfants. Une Sagesse nourrie par tous les déchets amoncelés de l’histoire, une Sagesse encombrée par toutes les éruditions de l’histoire, par toutes les branches mortes de l’histoire, une sagesse toujours soigneuse de s’abriter derrière le mouvement délicat des sciences, est affaire de longue haleine : elle exige ces loisirs, ces années de préparation à la fonction cléricale que le fils de la bourgeoisie seul est en position d’obtenir. Le public même des bourgeois non spécialistes est composé d’hommes et de femmes appuyés au moins sur les éléments alphabétiques de la culture secondaire et possédant assez de loisirs, de relâche, pour accorder une part de leur temps et de leurs soins aux méditations morales et aux justifications recherchées que la masse bourgeoise elle-même ne se soucie point d’expliciter, assurée que ses clercs travaillent quelque part pour elle. Que ses clercs répondront : Présents, au premier appel qu’elle lancera. Il faut infiniment de loisirs pour se poser des problèmes moraux et vouloir les justifier rationnellement. L’homme qui travaille ne moralise pas : il fait une morale.

La grande masse des hommes qui est pressée par une nécessité impitoyable que les philosophes ne soupçonnent même point ne saurait avoir accès à cette sagesse oisive. À aucun moment de leur vie, ils ne sont en position de la recevoir. De se poser les problèmes inhumains qu’elle se pose. Ils n’en ont que la monnaie : car il y a une philosophie bourgeoise ésotérique qui exprime le travail intime de la bourgeoisie, son opération de soi sur soi, par quoi elle édifie les modèles auxquels elle se doit conformer. Et il y a une philosophie bourgeoise exotérique, qui est tournée vers le dehors, qui exprime en quelques formules réduites ce qu’on doit savoir de la Philosophie. Et la seconde est comme une