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image d’Epinal de la première, comme une simplification à l’usage de ces déshérités de l’intelligence qui forment ce que la bourgeoisie appelle le Peuple. Cette image et cette simplification sont lancées par l’École primaire. Chaque Français de douze ans puise dans l’École, l’essence extraite pour lui de la Philosophie. Un catéchisme moral est enseigné. Un catéchisme où les démonstrations ne sont pas faites. Mais ce catéchisme est donné comme le résultat des méditations pénibles et consciencieuses et méritoires des hommes de bien qui fabriquent la Philosophie. Dans une région écartée, traversée des orages de la science, des éclairs de la Pensée, des sages élaborent avec mystère la Philosophie universelle. Les sentences simples qui sont transmises en leur nom paraissent reposer sur des fondations inébranlables de travaux, de science, de bonne volonté. La pensée bourgeoise dit toujours au Peuple : « Croyez-moi sur parole ; ce que je vous annonce est vrai. Tous les penseurs que je nourris ont travaillé pour vous. Vous n’êtes pas en état de repenser toutes leurs difficultés, de repasser par tous leurs chemins, mais vous pouvez croire les résultats de ces hommes désintéressés et purs. De ces hommes marqués d’un grand signe. De ces hommes qui détiennent à l’écart des hommes du commun pour qui ils travaillent, les secrets de la vérité et de la justice. » Ainsi le respect inspiré par le clerc était profitable au bourgeois.

Trop longtemps le Peuple a vécu dans une confiance, dans une sécurité enfantines. Trop longtemps il a cru que le mystère où se déroulait la formation de la science et de la Philosophie lui était interdit, n’appartenait qu’à un petit nombre d’hommes silencieusement voués au salut commun. Il y eut pour lui un pays lointain revêtu d’un prestige religieux où des penseurs plus parfaits qu’aucun de ses représentants vivaient au service de l’Esprit. Il crut ce que la