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au profit de l’homme en général, qui comprend, parmi ses espèces, des ouvriers et des fermiers. Mes maîtres faisaient tout pour m’entretenir au sein d’une illusion si agréable pour eux-mêmes. Qui s’exerce à une philosophie — le contenu importait peu — comment ne l’aurais-je pas pris pour une façon de médecin ou de prêtre sauvant à chaque instant le monde par la vertu de ses maux de tête. C’est ainsi que bien des naïfs pensent passivement que la sociologie, l’histoire du criticisme ou la logistique méritent la gratitude des hommes. Cette croyance annonce le mythe de la cléricature.

Mais il est décidément impossible de croire plus longtemps qu’une thèse sur Modératus de Gadès, un livre sur l’invention mathématique doivent valoir à leurs auteurs la médaille de sauvetage et la reconnaissance des peuples : c’est assez que la Légion d’honneur récompense les tenants du spirituel comme elle fait les vieux capitaines d’habillement, les vieux acteurs, et les héros. Les hommes n’aiment point être dupés, ils n’ont pas tous une naïveté assez considérable pour croire qu’un agrégé de philosophie est en vertu de sa fonction un terre-neuve ou même une personne respectable.

La Philosophie-en-soi n’existe pas plus que le Cheval-en-soi : il existe seulement des philosophies, comme il existe des arabes, des percherons, des léonais, des anglo-normands. Ces philosophies sont produites par des philosophes : cette proposition n’est point si vaine qu’on a accoutumé de le croire. Comme il existe trente six mille espèces de philosophes, il existe autant de sortes de philosophies.

La Philosophie est un certain exercice de mise en forme qui réunit et ordonne des éléments