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NOA NOA

Je me résignai tristement, et, nouant dans son mouchoir quelques piastres pour qu’elle pût payer les frais du voyage et porter du rhum à son père, je la conduisis à la voiture publique.

J’eus le sentiment d’un adieu sans retour.

Les jours qui suivirent furent pénibles. La solitude me chassait de ma case et les souvenirs m’y rappelaient. Je ne pouvais fixer ma pensée à aucune étude…

Une semaine encore s’écoula, et Téhura revint.

Alors commença la vie pleinement heureuse. Le bonheur et le travail se levaient ensemble, avec le soleil, radieux comme lui. L’or du visage de Téhura inondait de joie et de clarté l’intérieur du logis et le paysage alentour. Elle ne m’étudiait plus, je ne l’étudiais plus. Elle ne me cachait plus qu’elle m’aimait, je ne lui disais plus que je l’aimais. Nous vivions tous deux si parfaitement simples !

Qu’il était, bon, le matin, d’aller nous rafraîchir dans le ruisseau voisin, — comme faisaient, j’imagine, au Paradis, le premier homme et la première femme !

Paradis tahitien, navé navé fénua, — terre délicieuse !

Et l’Eve de ce paradis se livre de plus en plus, docile, aimante. Je suis embaumé d’elle : noa noa ! Elle est entrée dans ma vieà son heure ; Plus tôt, je ne l’aurais peut-être pas com-