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À LA NUIT


Nuit propice aux plaisirs, à l’oubli, tour à tour,
Où dans le calme obscur l’âme s’ouvre et tressaille
Comme une fleur à qui le vent porte l’amour,
Ou bien s’abat ainsi qu’un chevreau dans la paille.

Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
Toi qui regardes l’homme avec tes yeux d’étoiles,
Vois mon cœur bondissant ivre comme un bateau,
Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile.

Regarde, nuit dont l’œil argente les cailloux,
Ce cœur phosphorescent dont la vive brûlure
Éclairerait ainsi que les yeux des hiboux
L’heure sans clair de lune où l’ombre n’est pas sûre.

Vois mon cœur plus rompu, plus lourd et plus amer
Que le rude filet que les pêcheurs nocturnes
Lèvent, plein de poissons, d’algues et d’eau de mer
Dans la brume mouillée agile et taciturne.