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LE POÈME DE L’ILE-DE-FRANCE


Ô tremblement divin de la terre enflammée,
Secousse qui de France a gagné l’Univers.
Sur les pavés tintants, pas de la jeune armée
Auprès de cette auberge et de cet ormeau vert.

Ô petites lueurs derrière les fenêtres
Dans les douces maisons d’un village endormi,
Où soudain, comme un bruit de tonnerre, pénètrent
Les canons bienheureux des vainqueurs de Valmy…

Et maintenant ; voici que ton azur s’écarte,
Ile-de-France en fleur, rosier vert et vermeil,
Pour laisser s’en aller le jeune Bonaparte
Vers son brûlant destin de foudre et de soleil.

Ah ! comme il est petit, comme il est mince et pâle,
Comme il est anxieux, tandis que follement
Joséphine, en lin clair sous son collier d’opales,
Le voyant si chétif rit qu’il soit son amant !

Ces grands midis éteints avant que je ne vinsse
Je les goûte aujourd’hui, riche d’un lourd plaisir,
Sur le cœur apaisé de ma belle province
Où l’azur semble un front plein de haut souvenir.

Et comme Véronique a déplié son voile
Pour recevoir un dieu blessé d’ombre et de sang,
Je vous accueille en moi jusqu’aux profondes moelles
Ô Face sans douceur de mon Passé puissant !…