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LES MORTS POUR LA PATRIE

À la vierge d’airain qui leur broyait les yeux
Jusqu’à ce que le jour sombrât sous leurs paupières...

– Ô morts, assistez-nous à notre heure dernière !
Prenez pitié de nous, sachez combien vraiment
Nous vous avons aimés fièrement, humblement !
Dites-nous, pour qu’un peu de force nous soutienne :
« J'eus la mort des élus, sache endurer la tienne
Avec ce qu’elle a d’âpre, et de pauvre et d’amer.
Oui, j’ai goûté le feu, j’ai marché sur la mer,
J'ai crié : Lève-toi ! à des têtes penchées,
Et ma voix réveillait les morts dans les tranchées.
J'ai noué sur mon cœur frémissant et muet
Une chaîne d’acier que le soupir rompait.
J'ai tenu dans ma main une moisson de lances,
Et manié un fer plus dur : la patience.
J'ai bu mon sang. J’ai pris, il le fallait aussi,
De l’ennemi blessé un fraternel souci.
Ô toi, qui n’as pas pu mourir dans cette gloire,
Apaise-toi. Je suis un ange dans l’Histoire,
L'Histoire, que tout être implore les doigts joints !
Mais je commande encor, chère âme, et je t’enjoins
De poser doucement ton front dans ma blessure,
Je n’étais pas cruel quand je tuais. Mesure,
Dans ce cœur entr’ouvert d’où s’épanche le sang,
Combien la haine est faible et l’amour est puissant.
Nous fûmes les soldats de l’amour, ceux qui disent :