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tu vis, je bois l’azur…


Tu t’en vas, et je suis comme ces chiens farouches
Qui, le front sur le sable où luit un soleil blanc,
Cherchent à retenir dans leur errante bouche
L’ombre d’un papillon volant.

Tu t’en vas, cher navire, et la mer qui te berce
Te vante de lointains et plus brûlants transports.
Pourtant, la cargaison du monde se déverse
Dans mon vaste et tranquille port.

Ne bouge plus, ton souffle impatient, tes gestes
Ressemblent à la source écartant les roseaux.
Tout est aride et nu hors de mon âme, reste
Dans l’ouragan de mon repos !

Quel voyage vaudrait ce que mes yeux t’apprennent,
Quand mes regards joyeux font jaillir dans les tiens
Les soirs de Galata, les forêts des Ardennes,
Les lotus des fleuves indiens ?

Hélas ! quand ton élan, quand ton départ m’oppresse,
Quand je ne peux t’avoir dans l’espace où tu cours,
Je songe à la terrible et funèbre paresse
Qui viendra t’engourdir un jour.