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tu vis, je bois l’azur…


Et je savais que moi, qui contemplais ces restes,
J’étais déjà ce mort, mais encor palpitant,
Car de ces ossements à mon corps tendre et preste
Il faut le cours d’un peu de temps…

Je l’accepte pour moi ce sort si noir, si rude,
Je veux être ces yeux que l’infini creusait ;
Mais, palmier de ma joie et de ma solitude,
Vous avec qui je me taisais,

Vous à qui j’ai donné, sans même vous le dire,
Comme un prince remet son épée au vainqueur,
La grâce de régner sur le mystique empire
Où, comme un Nil, s’épand mon cœur,

Vous en qui, flot mouvant, j’ai brisé tout ensemble,
Mes rêves, mes défauts, ma peine et ma gaîté,
Comme un palais debout qui se défait et tremble
Au miroir d’un lac agité,

Faut-il que vous aussi, le Destin vous enrôle
Dans cette armée en proie aux livides torpeurs,
Et que, réduit, le cou rentré dans les épaules,
Vous ayez l’aspect de la peur ?