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l’enchantement de la sicile


Un marchand grec, coiffé de noire cotonnade,
Repoussait de ses cris et de ses sombres mains
L’assourdissant troupeau de hargneuses pintades
Qui mordait son fardeau et barrait le chemin ;
Effronté, laissant voir son torse nu qu’il cambre,
Un jeune homme, allongé sur le jaune talus,
Regardait de ses yeux scintillants et velus
Le sublime soleil abonder sur ses membres
Comme un flot de liqueur coule d’un flacon d’ambre…
L’horizon tressaillait d’un vertige or et bleu.

— Et puis toujours, là-bas, je voyais, pure et vaste,
La mer au grand renom, qui touche dans ses jeux
Les Cyclades, dormant sur des vagues de feu,
Le rivage d’Ulysse et celui de Jocaste,
L’herbe où des bergers grecs préludaient deux par deux…
— Et je songeais, — puissante, éparse, solitaire, —
Mêlée au temps sans bord ainsi qu’aux éléments,
Attirant vers mon cœur, comme un étrange aimant,
Tous les rêves flottant sur l’amoureuse terre ;
J’attendais je ne sais quel grave et sûr plaisir…

Mais déçue aujourd’hui par tout ce qu’on espère,
Ayant tout vu sombrer, ayant tout vu fléchir,
Ô mon cœur sans repos ni peur, je vous vénère
D’avoir tant désiré, sachant qu’il faut mourir !