Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/233

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Hélas ! dans le profond et noir pays du sol,
Malgré les cris du geai, le chant du rossignol,
Ils dorment. Une enfant, sans frayeur, près des tombes,
Traîne un jouet brisé qui ricoche et retombe.
Ils sont là, épandus dans les lis nés sur eux,
Ces doux indifférents, ces grands silencieux ;
Et la route qui longe et contourne leur pierre,
Éclate, rebondit d’un torrent de poussière
Que soulève, en passant, le véhément parcours
Des êtres que la mort prête encor à l’amour…
— Et moi qui vous avais délaissée, humble terre,
Pour contempler la nue où l’âme est solitaire,
Je sais bien qu’en dépit d’un rêve habituel,
Nul ne saurait quitter vos chemins maternels.
En vain, l’intelligence, agile et sans limite,
Avide d’infini, vous repousse et vous quitte ;
En vain, dans les cieux clairs, de beaux oiseaux pensants
Peuplent l’azur soumis d’héroïques passants,
Ils seront ramenés et liés à vos rives,
Par le poids du désir, par les moissons actives,
Par l’odeur des étés, par la chaleur des mains…

— Vaste Amour, conducteur des éternels demains,
Je reconnais en vous l’inlassable merveille,
L’inexpugnable vie, innombrable et pareille :
Ô croissance des blés ! ô baisers des humains !