Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


C’était l’heure engourdie où le soleil s’incline ;
Par un mortel besoin de pleurer et de fuir,
J’ai souhaité monter sur la verte colline ;
Nous nous sommes ensemble assis dans la berline
Où flottait un parfum de soierie et de cuir,
Et nous vîmes jaillir les romanesques ruines.

Sur la terrasse, auprès de la tour en lambeaux,
Des étudiants riaient avec vos bien-aimées.
Je regardais bondir les délicats coteaux
Qui frisent sous le poids des vignes renommées,
Et l’espace semblait à la fois vaste et clos.

Le Neckar, au courant scintillant et rapide,
Entraînait le soleil parmi ses fins rochers.
Nous étions tout ensemble assouvis et avides ;
L’insidieux automne avait sur nous lâché
Ses tourbillons de songe et ses buis arrachés…

— Ô sublime, languide, âpre mélancolie
Des beaux soirs où l’esprit, indomptable et captif,
Veut s’enfuir et ne peut, et rêve à la folie
D’enfermer l’univers dans un amour plaintif !

Tout à coup, dans le parc public, humide et triste,
L’orchestre qui jouait sur les bords de l’étang,
Près d’un groupe attentif de studieux touristes,
Lança le son du cor qui chante dans Tristan…