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cantique

Qui, lorsque naît la nuit provocante et bleuâtre,
Se range sous la main et sous la voix du pâtre.
— Mais le jour chancelant a quitté l’horizon.
Un doux soupir entr’ouvre et creuse les maisons,
Voici la nuit : l’air fuit, pressé, glissant, agile,
Esclave libéré qui rejoint son asile.
Deux ormeaux délicats, sous les brises penchants,
Sont deux syrinx feuillues d’où s’élancent des chants.
La lune plie au poids des nuages de jade,
Comme un rocher poli sent bondir les dorades.
Nous sommes seuls ; le soir semble nous engloutir.
J’ai besoin d’un vivant, d’un constant avenir !
Retiens par ta multiple et claire exubérance
Mon âme qu’attiraient l’espace et le silence ;
J’ai besoin de ton souffle humain, qui dit : « Je suis
Le compagnon sensible et mortel qui te suit
Sur la route incertaine, et, plus tard, dans la terre
Où tu seras poussière, oubli, ombre et poussière.
Je suis ton âme ailée, et ce qui restera
De toi, lorsque tes yeux, tes lèvres et tes bras,
Dont tu fis une aurore, une lyre, une épée,
Seront aussi oisifs que des branches coupées… »

Ainsi me parlera la voix de cet ami.
Alors, malgré l’élan de mon cœur insoumis,
Portant dans mon esprit plus d’éclairs, de vertige
Que la fougère n’a de pollen sur sa tige,