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LE LIVRE DE MA VIE

nettement vers l’infini, je reproduisais, à la manière d’une dictée harmonieuse et colorée, le chant des oiseaux, la naissance pâle et puis éclatante du jour, la campagne pastorale, la caquetante et radieuse basse-cour, la rêverie du croissant de la lune au-dessus des magnolias en fleur qu’enveloppait l’haleine mouillée du lac. Encouragée par un auditoire toujours trop bienveillant et, sans doute, sensible aux yeux verts allongés d’une enfant qui portait avec timidité les présents d’un destin privilégié, j’écrivis de petits morceaux de musique que ma mère fit relier dans un album de l’aspect le plus sérieux. Je demandai et j’obtins facilement qu’on inscrivît sur le cuir, couleur de noisette, en lettres d’or, le nom d’Anna. Sur quoi n’ai-je pas, de ma main d’enfant, écrit ce nom ? Le besoin où se trouve un petit être de se constituer le porte à reproduire le plus qu’il peut le signe qui le représente. Écrire sur des cahiers, sur des livres, sur du papier buvard, sur des cartons à chapeaux, sur le sable des allées, le nom d’Anna, équivalait certainement à ces médications fortifiantes qu’on donne aux enfants pour assurer le bon état et la croissance des os. Mon nom ne me plaisait pas, mais je fus exorcisée de l’ennui qu’il me causait par la remarque enjolivée de flatterie que me fit un jour un vieux monsieur (était-il vieux ? le sait-on à l’âge où j’étais ?), qu’il débutait par la première lettre de l’alphabet et qu’il demeurait égal