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LE LIVRE DE MA VIE

dans les deux sens. Ce monsieur si aimable, que, dans ma petitesse, je jugeai vieux, et qui voulait trouver dans la netteté réversible de mon nom une promesse de perfection, n’était pas seul à m’entourer de bontés. Nulle petite fille ne fut plus complimentée, plus embrassée que moi. Là fut ma chance, bien nécessaire, car, loin d’être altière, égoïste ou vaniteuse, je dépendais entièrement de l’affection de tous les êtres. Aucune créature autant que moi ne sollicita instinctivement, silencieusement, pour avoir la force de vivre :

Avec le pain qu’il faut aux hommes
Le baiser qu’il faut aux enfants,

ainsi que l’écrit leur suprême ami, Victor Hugo. La nuit, qui dispose en tous sens ses intangibles barrières et, par l’obscurité, le lit solitaire, le sommeil, défait le bouquet humain, séparant ceux qui s’aiment le jour, me rendait craintive, elle m’eût paru intolérable si je ne m’étais endormie avec la conviction que je posais ma tête sur l’épaule de l’ange gardien tant de fois décrit par la poétique et dure gouvernante allemande. Je n’eus pas à me plaindre de ma situation dans l’apparat ; dès qu’un visiteur était annoncé, on m’appelait, on me montrait ; mes parents attendaient avec confiance l’approbation, qui leur semblait certaine, des hôtes importants. Le superbe Mistral, pâtre royal, abaissa tendrement sur moi un regard