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LE LIVRE DE MA VIE

le sentiment anxieux de sa présomption, dédaigné par le distrait espace. Mais qui ne se sent pas la puissance et la durée des dieux au moment où, chargé d’âme et de poésie, il espère se léguer à l’avenir, est voué à la paresse, aux besognes insignifiantes et, ce qui est plus coupable, imparfaites en leur modicité.

Et pourquoi ne pas raconter jusqu’à quel point j’ai porté le souhait de m’approcher plus que tout autre de la beauté du globe, d’en déchiffrer et recueillir les secrets, de la communiquer intacte et vive, baignée de sa rosée, parée de ses astres, à tous ceux qui pouvaient m’entendre ?

Dans le rire de l’extrême jeunesse, quand tout est grâce, espièglerie permise, je m’amusais à dire (venant de publier Le Cœur Innombrable et recevant, dès lors, tant de manuscrits et de volumes de vers) que j’étais prête à répondre à mes nouveaux confrères, après avoir parcouru leurs ouvrages, avec peut-être la crainte qu’ils n’eussent dépeint les éléments, et surtout la jubilation, la tristesse, la soif du cœur avec autant d’amour que j’en éprouvai : « Monsieur, je viens de lire vos beaux poèmes, j’en ai été quitte pour la peur… ») C’était là une plaisanterie que j’avais tort d’apprécier, car elle ne correspondait à aucun besoin de mon esprit, qui ne fut soutenu, au cours de la vie, que par ma véhémente et pieuse faculté d’admiration. Je ne me suis point trompée sur les habitants