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LE LIVRE DE MA VIE

aiguillonner l’espace, et, satisfaite, elle s’écria en riant :« Quel athlète ! Quel chanteur ! Quel général !… »

Au début d’une année scolaire, j’avais six ans, ma mère me dit tendrement :

« Je viens de recevoir une lettre de Mme Leroy (la directrice du cours de solfège) ; elle a été contente de vous (par une habitude anglaise, ma mère ne nous tutoyait pas, mais nous tutoyions mon père et elle). Vous passerez dans un cours nouveau, plus avancé, alors que vos petits camarades répéteront les mêmes études. Vous, ce sera autre chose. »

Autre chose, du nouveau, l’inconnu, plus le même ! J’eus une vision vertigineuse de la transfiguration du monde. Où allais-je donc me trouver ? Depuis un an, on me conduisait avec mon frère et ma sœur chez Mme Leroy, au second étage d’un immeuble obscur de la rue Caumartin, où la replète et trottinante maîtresse d’harmonie, assistée de Mlle Cécile, alerte et bienveillante, de Mlle Juliette, sévère bien que coquette, nous terrorisait et nous émerveillait par une science musicale hermétique, par une familiarité solidement établie avec la clé de fa et les clés d’ut. Le trajet de l’avenue Hoche à la rue Caumartin bouleversait chaque fois notre gouvernante, inquiète d’un iti-