Comment ne pas songer ici au deuil secret et dénué de tout apparat qui, plus tard, accompagne la mort de ceux de nos amis qui emportent avec eux notre vie ? Ils nous laissent gisants, sans nul autre parti à prendre que de méditer leur intolérable absence. Le vieux tricot de laine cramoisie que nous portions à l’heure des conversations tendres et familières ; aux instants de notre travail, par eux contemplé ; au cours des repas intimes, et qu’ils baisaient à l’épaule, au coude, au poignet, ne nous offre pas le divertissement de songer à le quitter ! Lorsque, chancelants, amputés d’eux, nous recommençons à faire nos premiers pas sur la terre qui nous les a dérobés et qui, en tous lieux, nous semblera funèbre, nous pouvons revêtir désormais la robe décrochée au hasard dans l’armoire ; nous pouvons poser sur nos cheveux un chapeau garni de plumes de rouge-gorge ou de pourpres camélias, sans nous préoccuper de notre aspect, qui ne nous tient plus à cœur. Les malheurs sans guérison ne se révèlent pas aux passants ni même à nos relations superficielles. Ils n’ont pas de registre dans la loge du concierge ni dans le vestibule de nos maisons ; le meurtre qu’ils ont exercé sur nous demeure notre secret et notre inépuisable savoir…