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LE LIVRE DE MA VIE

leste bonhomie aux francs aveux. J’étais intriguée par le ministre de Hollande à Paris, personnage gourmé et taciturne, qui portait le titre inusité de « chevalier ». L’ambassade de Russie nous était comme naturellement délivrée le dimanche, par le court trajet qui reliait l’église russe, située rue Daru, à l’avenue Hoche.

Nous assistions presque toujours à la cérémonie religieuse orthodoxe et rentrions chez nous avec les conseillers et attachés : MM. de Kotzebue, de Friedrichs, Narichkine, de Giers. Je remarquai, dès ce moment, qu’un ambassadeur et son entourage sont une nation en voyage, qui fait halte, selon les ordres de son gouvernement, en telle ou telle ville, où ils impriment, par leur apparence, leurs vocalises, leurs usages imperceptiblement, mais profondément différents des nôtres, l’image de leur race tout entière. J’ai vu des femmes slaves, décoratives ou fascinantes, évoquer mystérieusement pour moi un visage de vieux bouc à favoris et à monocle, tel qu’apparaissait le baron de Mohrenheim ou s’apparenter, par la silhouette, à un svelte comte balte.

Les diplomates, en fonction ou en retraite, étaient assurés du plus grand succès auprès de ma mère. Élevée à Londres dans l’érudition, les minuties et les scrupules des préséances, elle se plaisait à ne pas commettre d’erreur et assignait sans se tromper, à chacun de ces fonctionnaires altiers