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LE LIVRE DE MA VIE

gens affairés, galants, voraces et repus, les vertus incorporelles.

Hommes et femmes auraient pu réclamer, en faveur de leur brillant courage, le témoignage de tortures et de délices également ennemies de la nature : le corset et les liqueurs. Mon enfance s’écoula dans un paysage humain où les gorges et les croupes féminines, livrées à la pression du corset, que ces innocentes croyaient apte à résorber ce qu’il ne faisait que répartir curieusement, n’entravaient ni les élans, ni les gestes intrépides, ni la candide sécurité de l’âme dans l’amour.

J’ai vu des corps féminins débordant de proéminences se hisser légèrement, et dès l’heure matinale, sur le marchepied des breaks, s’installer, l’ombrelle à la main, sur d’étroites banquettes, heureux d’entreprendre, dans un bruit de grelots dont résonnaient le postillon et les chevaux harnachés, l’ascension de quelque colline abrupte recélant un monastère au parfum de plâtre et d’abandon. Là, on vénérait le chapeau de saint François de Sales, le prie-Dieu de sainte Chantal. Je les ai vues, ces femmes espiègles et rebondies, enfourcher des ânes, choisis robustes, et s’amuser des ruades provoquant un nuage de poussière. Je les ai surprises à l’aurore, se baignant dans le lac angélique et transparent, hymne d’azur qu’elles dérangeaient et brouillaient en s’y élançant sous le pudique costume de bain, bleu marine, orné d’une ancre