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LE LIVRE DE MA VIE

de sombres prêtres tonsurés et rasés dans un ton bleu indigo et qui portaient sur d’énergiques et pâles visages, aux yeux d’ardents picadors, les traces de la mortification.

C’est entre les murs de la chapelle ascétique que je connus la crèche de Noël, exposée en décembre et janvier. Petite scène ingénieuse, où étaient représentés, avec un mécanisme de jouet, le défilé des rois mages, le salut du bœuf et de l’âne, la palpitation de l’étoile, qu’un carillon mélancolique enveloppait d’une poésie captivante et triste. Au contraire, sous les dômes dorés de l’église orthodoxe, ayant pour chef le tsar, régnait le protocole des cours. Seul l’ambassadeur de Russie (et parfois quelque grand-duc de passage) avait devant lui une légère chaise dorée sur laquelle il s’appuyait élégamment de la main, sans jamais s’y asseoir, tant par respect pour le service religieux, les icones pathétiques et illuminées, que par une bienséante courtoisie à l’égard de femmes et d’enfants constamment debout. Grâce aux chants séraphiques que des voix d’adolescents faisaient retentir sous l’œil menaçant d’un maître de chapelle, je supportais la fatigue d’un équilibre épuisant et j’eus le loisir de rêver, d’espérer, de désirer, à l’église russe. En ce salon de Dieu, parfumé de résine et de bergamote, toute petite fille, je fis gravement, avec réflexion et ferveur, une prière pour que Dieu m’accordât, un jour, de posséder un en-