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LE LIVRE DE MA VIE

qu’une voiture qu’elle apercevait au loin nous menaçait par son correct ou chétif coursier. Jeunes filles, nous ne montâmes jamais dans notre landau attelé des magnifiques chevaux Balthazar et Pluton, sans demander à Dieu de nous garder du péril dans lequel nous nous étions engagées.


Les mois passaient. Souffrante, je trouvais indiscernablement dans la douleur physique, subie avec courage, et comme biffée par l’esprit, une diversion à l’oppressante nostalgie que j’avais de la présence de mon père. Je n’oubliais pas que lui, le premier, me fit écrire ces narrations qu’il lisait à haute voix dans le salon d’Amphion, éveillant ainsi ma destinée. Ma mère s’était montrée aussi charmée que lui à la lecture de ces récits puérils, mais elle craignait pour moi la fatigue. Je dois confesser que la phrase coutumière : « Cette enfant est trop intelligente pour vivre… » qui, bien entendu, ne pouvait être prononcée par mes parents, mais qui était lancée distraitement par mes bonnes, m’emplissait d’une terreur que je n’hésitais pas à croire justifiée. Je dirigeais alors vers la fenêtre de ma chambre du chalet d’Amphion, qui offrait le spectacle du ciel et du jardin heureux, un regard tout empli du désir de ne leur point dire adieu.

Néanmoins, malgré la tristesse, le temps qui s’écoulait amenait ses diversions et ses projets.