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LE LIVRE DE MA VIE

nous y étions attendus, nous restâmes à Vienne moins d’une semaine.

Ma mère, épanouie dans sa beauté claire aux yeux couleur d’abeille, aux cheveux châtains que les toilettes noires mettaient en valeur comme un sombre feuillage relève le ton des pétales, prit un vif plaisir à parcourir la ville célèbre pour sa grâce. On nous emmena dans les restaurants renommés où le schnitzel fameux, dont on nous démontrait l’apprêt inimitable, me causa la déception de n’être tout de même qu’une escalope de veau. Les magasins, papillotants de multiples et menus objets, enchantaient ma mère, qui nous rapportait de ses courses onéreuses, dont elle ne perdit jamais l’habitude, ces bibelots viennois de jadis, d’un mauvais goût poétique si prisé : par exemple, une rose en porcelaine, soigneusement coloriée, contenait au centre de la fleur un petit flacon empli de son parfum. Installée à l’hôtel Zacher, ma première impression de ce séjour fut la surprise que me causa mon lit, d’où ne cessait de glisser une couverture de soie piquée, sur laquelle était rabattu, par des boutonnières attachées à des boutons de nacre, un drap de toile festonné. Les Viennois, au temps de mon voyage, s’étendaient sur un mince matelas, puis allongeaient sur eux cette étroite courtepointe dont ils se satisfaisaient, si instable pourtant que je passais mes nuits à la ramasser, à la replacer sur moi.