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LE LIVRE DE MA VIE

national », avaient sur mon imagination une puissance étrangement évocatrice. Ils me dispensaient avec force le pouvoir d’espérer. Qu’attendais-je de ces vocables ? Sans doute, je me le dis aujourd’hui un résumé de tout le pittoresque d’une contrée et d’une nation ignorées, la révélation du charme même d’un peuple et de son sol, une amitié plus intime encore que celle décrite par Flaubert dans cette phrase fameuse : « Il est des paysages si beaux qu’on voudrait les serrer contre son cœur… » Le plat national frappa toujours ma pensée autant qu’un nom de fleuve attaché à sa ville : Rome et le Tibre, Vérone et l’Adige, Madrid et le Mançanarez, Londres et la Tamise, tous ces poétiques hyménées, je les retrouvais mystérieusement dans la saveur de l’aliment populaire. C’est par les fleuves accédant aux mers, par les denrées lointaines aisément dispensées que l’Angleterre, la Hollande touchent aux Indes, que Brême s’accote à Venise, que le Nord reçoit au cœur une flèche torride, entend les cris brûlants des perroquets bariolés, manie l’ivoire et les brocatelles, perçoit l’arôme d’un palétuvier. Mais, au déjeuner vanté par la tante Élise, je fus déçue et chagrinée : la mamaliga, plat national, n’était qu’une rude farine de maïs sableuse, difficile à ingérer, que ne parvenaient pas à rendre agréable les condiments inusités qu’on s’était ingénié à y joindre. Probablement, l’imagination sérieuse de l’enfant ne se