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LE LIVRE DE MA VIE

l’actuel, du visible, mes vertiges d’amour devant l’éclosion, sur le rebord de notre fenêtre, de la première jacinthe charnue et sucrée, m’éloignaient des ouvrages exemplaires, immobiles et glacés, pareils aux Pharaons dans leurs tombeaux d’or. L’hymne printanier du monde, je l’évoquais aux cris des jaunes canaris de M. et de Mme Philibert, allègres sous le frais mouron qui amplifiait de verdure le toit de leur cage. Là, dans le nid qui se préparait, j’escomptais la présence de petits œufs bleus de lune piquetés de noir.

Je ne tardais pas à comprendre que Mme Colin ne cesserait de nuire à la beauté littéraire, et, désormais, je me défiai des éclaircissements qu’elle apportait aux anthologies et des apothéoses qu’elle nous proposait. Je me réfugiai alors auprès de ma mère, qui, dans son salon familier attenant à notre chambre, le mouchoir à la main, versait des pleurs secrets en lisant à haute voix, pour elle-même, les livres qui charmaient son émotive et candide sincérité. Révélation inouïe ! ma mère, timorée, pudique et pour toujours ingénue, aimait les romans où Émile Zola s’efforçait lourdement — mais avec une naïveté créatrice désordonnée, apte à séduire les cœurs purs — vers la poésie. J’entendais parler pieusement de La Faute de l’Abbé Mouret ; on me décrivait le Paradou, profusion oppressante et insupportable d’herbages, de ramées, de végétaux et de fleurs qui ravissait