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LE LIVRE DE MA VIE

les imaginations innocentes ; on célébrait la chaste affabulation du dernier recueil : Le Rêve.

— Écoutez, disait ma mère, la voix tremblante de tendre admiration, écoutez, ma chère enfant, ce début plein de grâce.

Et elle lisait :

« Pendant le rude hiver de 1860, l’Oise gela… »

Je l’écoutai et je laissai s’allonger dans mon cœur l’écho de syllabes simples et loyales qui, du moins, comme les notes limpides de la gamme, se succédaient naturellement et ne déformaient pas l’univers.

C’est à cette surprenante prédilection maternelle pour un auteur sincère, par ailleurs halluciné, maniaque et puérilement insistant, que je dois d’avoir lu, à dix-huit ans, consciencieusement, Germinal, dont les fresques sensibles et brutales touchèrent mon esprit sans le captiver. Mais, quelques années plus tard, je me suis arrêtée un jour, courbatue, enfiévrée, consternée, victime de l’admiration patiente, à la dernière page d’un chef-d’œuvre incontestable, construit superbement avec les matériaux de la misère et du vice : L’Assommoir.