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LE LIVRE DE MA VIE

frivolité de la jeunesse. Les robes nombreuses, claires et fantasques, les parfums destinés à être vaporisés (parmi eux un lilas de Perse qui me causait un début de migraine hallucinée, où s’ébauchaient de capiteux jardins), et le coiffeur célèbre, M. Dondel, qui parlait « chevelure » aussi continûment que les hommes politiques parlent « gouvernement », reprirent le chemin de sa chambre. Parée, parfumée, elle apparaissait riante, contente, comme entourée d’invisibles guirlandes de fleurs, et dans son clair visage s’ébattait gaiement l’expression d’un regard de jeune fille.

M. Dessus, dont on gagnait le cœur par la musique, portait au jeune homme de génie un paternel intérêt, où se mêlaient diverses nuances du sentiment et jusqu’à l’indignation qu’éveillait toujours en lui le partage de la Pologne, écartèlement dont nous-mêmes ressentions, jusqu’à la souffrance physique, l’iniquité. Vieil amoureux de ma mère, sorte de tuteur anxieux comme l’a décrit Beaumarchais, M. Dessus, depuis la mort de mon père, veillait dans la maison à ce que ne fût point approchée la beauté. Nous avions assisté à de nombreux ostracismes ; il traitait violemment de « galantin » tout homme agréable, voire important, que ma mère eût reçu sans ennui ; nous l’entendîmes murmurer à M. Philibert des ordres confidentiels pour que fût écarté de la demeure tel personnage en renom, dont les visites