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LE LIVRE DE MA VIE

quaient l’ouvrage de quelque fuseau aérien. Après le coucher du soleil, quand les cieux religieux de Savoie semblaient emplis de mains jointes et en prière, apparaissaient les chauves-souris. Elles ne nous effrayaient pas. J’étais sans crainte envers ces messagères du crépuscule, morceaux détachés du soir, qui se mouvaient avec une circonspecte douceur sur l’horizon couleur de platine et dont la danse feutrée honorait le silence par le silence. L’intrusion de l’une d’elles dans le hall, où, immobile et dissimulée, elle semblait se deviner fautive, ne troublait pas nos réunions ; seule l’entrée étourdie d’une hirondelle nous désolait ; son désarroi, son tourbillonnement égaré éveillaient la pitié et la consternation. On s’ingéniait à l’éloigner de sa prison, à la rendre à son pur infini. Nous avions appris, dès la plus petite enfance, à révérer la flèche vivante qui fauche gaiement l’espace de son coup d’aile noir et blanc, happe le brouillard doré des moucherons et dessine sur l’étendue des arceaux de cris plaintifs et mélodieux : hirondelle, âme parmi le peuple des oiseaux ! C’est à l’heure du soir, quand le jardin d’Amphion n’offrait plus qu’un aspect élagué de paysage japonais, en deux tons, d’argent pâle et d’argent bruni, et que dans la paix aromatique on entendait la légère psalmodie du lac, que se posait entre les grandes personnes et descendait jusqu’aux enfants, muets