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LE LIVRE DE MA VIE

est amoureux de Mireille, il avait contribué à créer autour du superbe ermite de Maillane une religion noble et compliquée dont les rites et l’honneur comportaient le retour perpétuel des noms d’Aubanel, de Félix Gras, de Roumanille : le Félibrige.

Sans qu’il nous fût possible de savoir exactement ce qu’était le Félibrige, l’apparence de troubadour et les récits ensoleillés de Mariéton installaient chez nous le mas et le micocoulier, la cueillette des olives, la farandole, les tambourinaires, puis son verbe haut et saccadé reculait dans l’azur des siècles jusqu’à évoquer Eschyle et Sophocle, dont il déclamait d’une voix ligotée et pourtant bondissante les apostrophes mystérieuses :

Ô Cithéron ! pourquoi…

ou bien :

Soleil, œil du jour d’or !

Ce magnifique bavard, en qui la parole et les chants populaires circulaient comme un bétail abondant et lustré sur une route sans encombre, — ainsi voit-on des troupeaux de bœufs blancs, aux cornes en forme de lyre, traverser la campagne romaine, — me comblait de rêveries en modulant au piano les poèmes mistraliens du recueil des Îles d’Or. Les vers aisés et puissants de Mistral me faisaient sombrer dans le bienheureux