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LE LIVRE DE MA VIE

Ma tante, généreuse par un feu de l’âme qui sillonnait son être fébrile, s’intéressait à moi. Le don de poésie qu’elle me connaissait et la langueur maladive que je surmontais plaisaient à son cœur actif, impérieux et pitoyable. Elle me demanda un jour ce qui pourrait me causer le plus grand plaisir. Déjà, grâce à son zèle, qui la désennuyait, j’avais rendu visite au professeur Hayem, étrange oiseau nocturne, sombre Faust installé au milieu des alambics. Son regard magnétique et défiant semblait briller au centre de sa personne tout entière crochue. Ne pouvant se rendre à l’évidence des facilités poétiques d’une enfant de treize ans, que, modestement, je lui avouai, il m’avait prescrit, au long de quatre pages, un traitement minutieux, dont il attendait, me disait-il, la guérison complète de la douleur physique comme de l’inspiration lyrique. Aujourd’hui encore, le professeur Hayem, vieillard juvénile, gloire médicale vénérée, se souvient, en riant, de son innocent diagnostic.

Je confessai donc à ma tante le désir ardent que j’avais de rencontrer Pierre Loti, qui était un de ses fidèles amis. Je venais de lire Pêcheur d’Islande. Je vivais dans la turbulence de ce récit qu’animent les flots marins indéfiniment dépeints en leurs variétés ; j’aimais d’une confuse et harcelante passion le héros du roman, le pauvre matelot apollonien qui lutte avec la tempête, l’amour et la mort comme Jacob avec l’ange furieux. Enivrée par le