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LE LIVRE DE MA VIE

pierre, lui était en horreur ; il resta toujours hanté de la neige maculée d’Eylau. Le dominateur surnaturel qui, avec le consentement inconcevable des hommes, obtint que fussent franchies les bornes de l’exigible, douta souvent de sa mission ; devant le tombeau de Rousseau, qu’il avait tant aimé, il sentit faiblir son cœur et murmura : « Peut-être eût-il mieux valu pour l’humanité que ni lui ni moi ne fussions nés. » Mais ses doutes, ses hésitations redescendaient de lui rapidement, comme l’aube humide et grise d’été se dissipe pour laisser resplendir le net éclat du jour.

Considérant et développant ce qu’il eût proposé pour la prospérité, les intérêts, la jouissance et le bien-être de l’association européenne, il terminait par ces mots, qui, aujourd’hui, sans que jamais son nom y puisse être mêlé, s’élèvent du sein de tous les groupes humains comme la voix des Suppliantes : « L’Europe n’eût bientôt fait véritablement qu’un même peuple et chacun en voyageant partout se fût trouvé toujours dans la patrie commune ; les grandes armées permanentes eussent été réduites désormais à la seule garde de la paix des nations… »


Ainsi eût vécu, toujours actif, mais administrateur paisible et désintéressé du monde, celui qui, au fond de l’âme, ne voulut jamais rien pour