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LE LIVRE DE MA VIE

redingotes en taffetas couleur puce, des gilets clairs brodés de fleurs, des chapeaux tricornes et des cannes vénérables, le promeneur qui ensemença de sa raison le monde.

Dans la radieuse demeure lacustre où j’errais sous les Charmilles de Voltaire et près de la vigne muscate de son jardin potager, que de fois ai-je songé avec respect : « Voici le lieu de l’univers où fut proféré le moins de bêtises ! »

La dévotion, fût-elle fanatique, qu’inspire son œuvre, puissante en son élégance, infinie en sa sagesse, toujours me plaît, jamais ne me paraît excessive. Les nombreuses éditions, souvent superbes, de ses écrits, que j’ai tenues entre mes mains, montraient presque toutes, à la première page, une illustration, une interjection passionnée.

La bibliothèque du château de Champlâtreux, en Seine-et-Oise, que ma belle-mère, la duchesse de Noailles, tenait de son grand-père, le comte Molé, ministre et ami du roi Louis-Philippe, me ravissait par sa forme ronde, ses parquets et ses rayons couleur de miel brun et blond alternés. Les reliures précieuses, aux nuances diverses, formaient là une sorte de tenture solide dont émanait l’atmosphère grave et ennoblissante de la pensée. Dans une haute fenêtre aux allures robustes et gracieuses du xviie siècle, s’encastrait l’abondante verdure de Champlâtreux : arbres