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LE LIVRE DE MA VIE

charmante, aux cheveux roulés en boucles allongées, la duchesse de Broglie. Un portrait d’Ingres, représentant la mère de M. d’Haussonville, était délicieux à voir. La jeune femme, sombre grillon sans beauté, touchait pourtant le cœur par l’attitude pensive, par cette proéminence pudique et convenue de la gorge, des hanches, du ventre, que mettait en valeur une robe bleue, couleur de lobélia pâli au soleil. Éternelles Elvires, que Lamartine avait modelées dans le rêve des hommes par ses vers superbes et innocents !

Enfin, plus tard, je lus les romans de Mme de Staël et sa correspondance. Je reconnus instantanément l’accent d’un génie vigoureux. Je l’aimai dès lors, en dépit des effusions sans choix qui m’avaient lassée et m’avaient éloignée d’elle à la lecture de Delphine. J’adoptai avec sympathie sa lyre violemment retenue sur le sein, son cap Misène, son tardif accouplement avec un adolescent soulevé d’amour, qui fit don à son épouse vaillante et usée d’un fils dont les jeunes ans et la mort, à vingt ans, s’inscrivent dans les archives d’Hermance.

La présence mystérieuse, située à Coppet, en un lieu que l’on ne nous révélait pas, des parents de Mme de Staël, M. et Mme Necker, flottant dans un immense bocal d’alcool qui les préservait de la corruption, m’emplissait d’une anxiété circulaire. Mon esprit ne savait pas en quel endroit du château