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LE LIVRE DE MA VIE

de lui le plus infirme des esclaves. S’il n’était sauvé à tout instant de la mort par une vigilance permanente, il paraîtrait voué à un passage inutile et bref des ténèbres maternelles à l’anéantissement terrestre. Cependant, l’enfant résiste ; les dangers qu’accumulent sur lui des usages respectés ou la distraction de ceux qui le protègent ne suffisent pas, la plupart du temps, à amoindrir cette force stupéfiante que contiennent déjà le cerveau obscur, les membres maladroits. Dans son inconscience absolue, le petit enfant prévoit son œuvre et sa tâche ; toutes les parcelles qui le composent s’attachent à la lumière, à l’air, à la nourriture, au sommeil, à ce quotidien recommencement dans lequel il se développe et s’affermit. Que pressent-elle mystérieusement, cette chair dont le destin est imprévisible, à laquelle rien n’est promis et qui, pourtant, animalement, souhaite passionnément d’être et de demeurer ? Je dirai pour l’enfant ce que j’écrivais hier encore, en songeant aux adultes comblés et détruits à la fois par le sort et que n’abandonnent pas le souvenir et le souhait de la volupté :

Pour ce peu de bonheur que l’on espère, on vit !…

Édifier sa personne corporelle et morale sur un orgueil solide et combatif, voilà le labeur de l’enfant, qui tente de s’emparer de tout le possible, afin