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LE LIVRE DE MA VIE

voiture, marcher à leurs côtés quand la route devenait plus ardue. Je perdais le souffle, mais je donnais raison à la pitié. Et puis, vers le soir, on arrivait sur un terre-plein où s’élevait une étroite auberge en face du formidable et triste massif du mont Blanc. La pureté de l’air, dont le large déploiement s’imposait aux créatures, la gaieté de commande qui liait les uns aux autres les touristes, m’oppressaient, isolaient l’âme dans un silence de cristal. L’aubergiste, fière de sa modeste hôtellerie, — unique asile, — faisait aux arrivants un accueil dominateur et souriant ; elle les logeait comme l’arbre des cimes abrite ses rares oiseaux frileux. J’ai connu dans ce pauvre chalet aux chambres monastiques un charmant vicaire botaniste, qui venait se reposer aux Voirons de son dur sacerdoce exercé dans les faubourgs de Lyon. Je le rencontrais le matin, lisant son bréviaire parmi les myrtilles et les champignons des sapins. ou le soir, agenouillé sur les dalles de la chapelle, faisant à la statue de plâtre de la Vierge une offrande de digitales et d’edelweiss, cueillis par lui dans ses périlleuses excursions des après-midi. J’étais une enfant souffrante, mais vaillante ; le jeune prêtre s’était attaché à moi. Il n’approuvait pas mes lectures, il me reprochait les quatre volumes de La Vie Littéraire d’Anatole France, dont je faisais mes délices instructives, mais il aimait bien mon cœur et mon visage. Un jour