Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/112

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l’un contre l’autre, nous entrelaçâmes nos bras comme si on avoit voulu nous séparer, et nous nous écriâmes ensemble : Toujours ! toujours ! — Je sentis qu’Eulalie respiroit à peine, et qu’elle avoit besoin d’être rassurée par toutes les forces que me donnoient mon caractère et mon courage d’homme : — Toujours, Eulalie, toujours ! — Le monde, qui nous croit si malheureux, peut-il juger de la félicité que j’ai goûtée dans la tendresse, que tu as trouvée dans la mienne ? Que nous importe le mouvement ridicule de cette société turbulente où vont se heurter tant d’intérêts qui nous seront toujours étrangers, car la nature a fait, pour nous mille fois plus que n’auroient fait les longs apprentissages de la raison ! Nous sommes pour eux des êtres imparfaits, et cela est tout simple ; ils ne sont pas encore parvenus à apprendre que la perfection de la vie consistoit à aimer, à être aimé. Ils osent nous plaindre, parce qu’ils ne savent pas que nous les plaignons. Cette dangereuse fascination que les passions exercent par le regard n’agira du moins jamais sur nous. Le temps même a perdu son empire sur deux aveugles qui s’aiment. Nous ne changerons jamais l’un pour l’autre, puisqu’aucune altération ne peut nous rebuter, aucune comparaison nous distraire. Le sentiment qui nous unit est immuable comme le bruissement de notre Arveyron, comme le chant de nos oiseaux favoris, comme l’enceinte éternelle de ces rochers exposés au midi, au pied desquels on nous conduit quelquefois dans les jours incertains du mois de mai. Ce n’est pas le prestige de la beauté passagère d’une femme qui m’a séduit en toi, c’est quelque chose qui ne peut ni s’exprimer quand on le sent, ni s’oublier quand on l’a senti. C’est une beauté qui appartient à toi seule, et que j’écoute dans ta voix, que je touche dans tes mains, dans tes bras, dans tes cheveux, que je respire dans ton souffle, que j’adore dans ton âme ! J’ai bien étudié leurs amours dans les livres qu’on nous a