Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoiqu’il fût parvenu. Les plus anciens de Damas se souvenoient qu’il y étoit arrivé bien pauvre, et qu’il y avoit longtemps gagné sa vie à porter des fardeaux pour les marchands ; après quoi, ses petites économies lui permettant d’entreprendre le négoce à son propre compte, on l’avoit vu s’élever au plus haut degré de prospérité sans donner lieu au moindre reproche, de sorte que personne ne prenoit ombrage de sa fortune, dont il ne sembloit jouir que pour en faire part à tout le monde.

Un jour, trois voyageurs fort mal en point et recrus d’âge, de fatigue et de misère, s’étant rencontrés au même moment à sa porte, pour y demander l’hospitalité, les esclaves du vieillard leur donnèrent à laver suivant l’usage, substituèrent à leurs pauvres haillons et à leurs turbans délabrés des vêtements propres et décents, et distribuèrent entre eux trois bourses pleines d’or. Ils les introduirent ensuite dans la salle du festin, où le maître les attendoit, comme il faisoit tous les jours, entouré de ses douze fils, qui étoient de beaux jeunes gens rayonnants d’espérance, de force et de santé, car Dieu avoit béni le Bienfaisant dans sa famille.

Quand ils eurent fini leur repas, qui étoit simple, mais copieux et salutaire, le Bienfaisant leur demanda leur histoire, non pour satisfaire une vaine curiosité, comme

    consolante, salutaire, propre à désabuser les bons esprits de ces ambitions jalouses et déplacées qui précipitent les vieux peuples vers leur ruine, et qui sont l’unique secret des révolutions. Aussi n’aurois-je pas hésité à la soumettre aux respectables distributeurs du prix fondé par M. de Montyon, si cette noble récompense ne paroissoit presque uniquement réservée désormais aux vues philosophiques et aux applications expérimentales, qui ont pour but le perfectionnement intellectuel et moral des fainéants, des vagabonds et des forçats. Je conviendrai volontiers d’ailleurs, dans toute la sincérité de mon âme, que la direction en ce sens à l’accomplissement des intentions rémunératrices du bienfaiteur, ne sauroit être plus impérieusement prescrite par les besoins de notre civilisation, et je ne crois pas le temps fort éloigné où l’on pourra la regarder comme un hommage rendu aux intérêts de la majorité souveraine, qui sont le principe et la fin de la nouvelle politique. »