Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/151

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et de ta grandeur. Un secret dont j’ai hérité de mes pères m’enseigne que tes aïeux ont caché dans les fondements de ce palais, pendant une longue suite de siècles, des trésors qui surpassent en richesse le trésor même des califes. Tu vas t’en assurer en faisant détourner à l’instant la pierre de tes souterrains, et creuser la terre de tes jardins, à quelques palmes au-dessous de la profondeur que la bêche peut atteindre. Redeviens donc opulent et renommé parmi les hommes, vertueux Abou-Bedil : loue Allah, qui ne peut jamais être assez loué, et ne refuse pas ta bénédiction à ton esclave fidèle. »

Abou-Bedil parut pensif, se mordit les lèvres, et me fit asseoir.

« Mon fils, me répondit-il, Dieu est grand et sa puissance est infinie. Je suis assez assuré de l’effet des remèdes dont je t’ai prescrit l’usage, pour ne pas attribuer l’hallucination dont tu es frappé aux vertiges qui sont quelquefois la suite d’une blessure mal guérie. J’avois d’ailleurs entendu parler, par mon père, de l’existence de ces trésors, et tu t’étonneras peut-être que je n’aie point cherché à m’en assurer la possession. C’est que l’étude et l’expérience m’ont appris qu’il n’y avoit de trésors réels que la modération, qui est la sagesse. Les dons innocents de la nature ont suffi jusqu’ici à mon bonheur, et je ne m’exposerai point à altérer la pureté d’une vie simple et facile, en versant dans la coupe que Dieu m’a donnée le dangereux poison des richesses ; mais ta découverte, si elle se trouve vraie, m’enlève le droit de persister dans un dédain qui seroit préjudiciable à ta propre fortune. Dans tous les pays policés, l’homme qui découvre un trésor caché peut légitimement en réclamer la moitié, et je manquerois aux devoirs de l’équité la plus commune, si je te privois des avantages que tant d’or acquis sans travail et sans périls semble promettre à l’inconsidération de ta jeu-