Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/153

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fondément enfoncé encore dans les entrailles de la terre, et y demeurer jusqu’à ce que mes mains l’en retirent ! Il n’y fait du moins point de mal. »

J’étois si impatient de jouir de mon opulence que je fus prêt à partir le lendemain avant la naissance du jour. Le scheick étoit debout comme moi, mais c’étoit pour contempler le lever du soleil et pour visiter ses fleurs. Quand il me vit disposé à m’éloigner : « Mon fils, me dit-il, veuille le ciel t’être désormais plus favorable qu’il ne l’a été jusqu’ici ! Tu es riche entre tous les hommes, et la richesse entraîne à sa suite plus de malheurs que tu n’en peux prévoir. Soulage ceux qui souffrent, et nourris ceux qui ont faim : c’est le seul privilège de la fortune qui mérite d’être envié. Évite le pouvoir, qui est un piège tendu par les mauvais esprits aux âmes les plus innocentes. Évite même la faveur de ceux qui sont puissants, car on ne l’obtient presque jamais qu’au prix de la liberté et du bonheur. Cherche cependant à te concilier leur bienveillance et à t’assurer leur appui, par les moyens dont tu te servirois pour te gagner des clients dans la classe moyenne, c’est-à-dire par des présents proportionnés à leurs besoins ou à leur cupidité. Toutes les classes sont également soumises à la séduction de l’or ; il n’y a que le taux de changé. Ne dédaigne pas d’acheter au même prix la protection des courtisans, sans laquelle il serait insensé de compter sur la protection du maître. Je n’ai plus que trois mots à ajouter à mes conseils : sois indulgent et miséricordieux envers tout le monde, ne te mêle pas des affaires publiques, et tâche d’apprendre un métier. »

Là-dessus, Abou-Bedil me bénit, et retourna, tranquille, à ses roses.

Tandis que je cheminois vers Bagdad, je méditois ces sages conseils dans mon esprit, et je pressentois de plus en plus la nécessité de signaler mon entrée dans la ville par un magnifique présent au calife ; mais je n’y pou-