Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/154

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vois penser sans m’effrayer du sacrifice que je serois obligé de faire à cette mesure de prudence, et je promenois sur mes trésors un regard inquiet et jaloux, en cherchant des moyens de ne pas m’en séparer. Nous arrivâmes enfin aux portes de la cité souveraine, dans une plaine propre à notre campement, qui s’étendoit sur un des côtés de la route. Le côté opposé étoit occupé par une autre caravane, dans laquelle je n’eus pas de peine à reconnoître les bandits qui m’avoient dépouillé au désert, avec leurs chameaux chargés de mon or. Les vêtements que j’avois reçus de la libéralité d’Abou-Bedil me déguisèrent heureusement à leurs yeux, et je passai assez près d’eux pour m’assurer de ma découverte sans exciter leur défiance. Comme je m’étois accoutumé à la perte de ces richesses, et qu’elles n’auraient fait en ce moment qu’augmenter mes embarras, cette rencontre inopinée me suggéra un dessein qui satisfaisoit à la fois mon avarice et ma vengeance, et que je me hâtai d’exécuter, après avoir mis mon escorte sur ses gardes contre de si dangereux voisins. J’entrai donc seul à Bagdad, et je me rendis sur-le-champ au palais du calife, car c’étoit l’heure où il tient ses audiences, qui sont ouvertes à tout le monde.

Il faut vous dire, seigneur, que l’empire des califes venoit de recevoir un de ces rudes échecs qui ont enfin causé sa ruine, et que le souverain régnant n’avoit trouvé moyen d’y porter remède qu’en levant sur ses peuples un impôt exorbitant qui menaçoit de devenir une source de sédition et de révolte. C’est dans ces circonstances que je me présentai devant lui, non sans colorer mon histoire d’un de ces mensonges que la mystérieuse origine de ma fortune me rendoit à tout moment nécessaires, car c’est là l’inconvénient inévitable de toute fortune qui n’a pas été acquise par un droit légitime ou par un travail assidu.

« Souverain commandeur des croyants, lui dis-je après