Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/186

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çoit que l’explosion bienveillante et communicative d’un banquet qui tire à sa fin. Je m’y glissai sans crainte : les gens qui ont faim sont si insinuants et, si persuasifs ! J’y fus admis sans difficulté : les gens qui dînent sont si polis ! Je pris part, avec une expansion toute naturelle, à la bonne chère et à la joie des convives, et j’y serois resté longtemps, si un soin particulier ne les avoit appelés quelque part.

C’étoit un festin funèbre.

Le roi d’Égypte avoit alors un favori que la passion de la chasse aux bêtes fauves entraînoit souvent à leur poursuite dans les régions les plus sauvages. Il s’étoit arrêté, la veille, avec son escorte, dans le lieu qui nous rassembloit, et il venoit d’être victime de la vengeance d’un tigre blessé à mort, qui l’avoit laissé sans vie à côté de lui sur le sable du désert. La fosse étoit creusée, le cadavre étoit là, et voilà pourquoi on se réjouissoit, en attendant les funérailles.

Je n’eus pas plutôt touché le mort, que je reconnus qu’il étoit vivant. Mon sac me fournissoit des baumes et des dictames inconnus d’une puissance héroïque ; et quand tout fut prêt pour l’enterrement, mon mort monta à cheval.

Le plus rare bonheur qui puisse arriver à un jeune médecin, c’est de débuter dans la pratique par la guérison d’un grand seigneur. Le salut d’un peuple entier ne l’auroit pas tiré de l’obscurité ; celui d’un homme en place fait sa fortune ; mais la mienne devoit être exposée à d’étranges vicissitudes, et je ne vous en raconterai qu’une partie. J’arrivois au Caire sous les auspices d’un courtisan que la faveur dont il jouissoit rendoit au moins l’égal du souverain, et, par conséquent, avec une perspective presque infaillible de profit et de gloire. Malheureusement pour mon patron et pour moi, le prince, qui avoit besoin d’un ami plus assidu, venoit de donner un successeur à mon maître. Quand son favori arriva, il lui